L’amour de Gonpachi et de Komurasaki

Pour retrouver l’amour de Gonpachi et de Komurasaki, il vous suffit de vous promener dans le quartier de Meguro à Tokyo, là se dresse une stèle où l’on peut lire “la tombe du Shiyoku”. Cet oiseau mythique et fabuleux qui contient dans un même corps deux êtres, n’est pas enterré là. Il est le symbole de l’amour passionnel et de la loyauté envers l’être aimé dont ont fait preuve Gonpachi et Komurasaki, alors que le Japon était régi par l’ordre des shoguns Tokugawa.


Cette histoire se passe il y a 350 ans environ, vivait au service du seigneur de la province d’Inaba, un jeune homme nommé « Shirai Gonpachi » qui à l’âge de 16 ans avait déjà reçu les honneurs de s’être fait un nom pour sa beauté, ainsi que pour sa valeur et ses capacités au maniement des armes.

Un jour, son chien combattait contre le chien d’un autre guerrier, et les deux maîtres, jeunes et passionnés, se disputaient pour savoir lequel des deux chiens étaient le plus courageux. Rapidement, le débat s’envenima, et finalement, ces derniers en vinrent aux mains, ou plutôt aux armes, comme il était de coutume à l’époque. Gonpachi tua son adversaire du jour de sa lame. Erreur ! La mort d’un compagnon d’arme était punie par la mort. Gonpachi n’eut d’autres choix que celui de quitter, sur-le-champ, la province qui l’avait vu grandir, et qu’il chérissait tant, pour s’échapper vers Edo.

Au soir, il avait déjà pris la route, avant d’avoir pu être rattrapé, il entra, alors, dans ce qui paraissait être une auberge. Il y commanda quelques rafraîchissements, et alla se coucher, ignorant le danger qui le menaçait : l’auberge était le repère d’un gang de voleur, dans lequel il était candidement tombé.

Pour être honnête le portefeuille de notre Gonpachi était misérablement fourni, mais son épée et ses vêtements valaient bien 300 pièces d’argent. Les voleurs, qui étaient dix, avaient de toute façon décidé qu’ils allaient tuer leur hôte pour le détrousser. Pendant ce temps-là, lui, dormait sans se douter du funeste sort qui l’attendait.

Au milieu de la nuit alors qu’il était dans les limbes de ses rêves, il fut réveillé par le bruit de la porte coulissante qui menait à sa chambre, il ouvrit légèrement les paupières, non sans effort, et il aperçut une jolie jeune fille, d’une quinzaine d’années, qui lui faisait signe de ne pas avoir peur. Elle s’approcha, et dans un murmure lui expliqua :

« Monsieur, le maître de cette maison est le chef d’un gang de voleur qui est en ce moment même en train de comploter pour venir vous assassiner afin de s’emparer de vos quelques biens. Comme pour moi, la fille d’un riche marchand de Mikawa, l’année dernière ils sont venus dans ma maison s’emparant des trésors de mon père, et de moi-même. Je vous en supplie, mon seigneur, prenez-moi avec vous et allons-nous en  funeste demeure. »

La fille pleurait en même temps qu’elle parlait, et Gonpachi était d’abord trop confus pour répondre. Mais étant un jeune homme plein de courage, il retrouva rapidement ses esprits, et fut déterminé à tuer les voleurs et à délivrer la fille de leurs mains.

Alors il répondit :

« Puisque vous le dîtes, alors je tuerais les voleurs, et vous sauverez cette nuit, de votre côté, quand je commencerai à me battre, courez à l’extérieur de la maison vous mettre à l’abri, et restez caché jusqu’à ce que je vienne vous rejoindre. »

A ces mots, la demoiselle le laissa, et parti de son côté. Lui, resta debout, retenant son souffle et préservant son attention. Et quand les voleurs approchèrent silencieusement dans sa chambre où ils pensaient trouver un homme endormi. Il se tenait prêt.

La porte coulissa, et soudain, son sabre à la main, il transperça le premier des voleurs à s’être présenté. Voyant cela, les neuf autres dégainèrent leur arme, mais Gonpachi se battant avec courage et ardeur, domina les débats. Bientôt il ne resta plus un seul voleur debout. Il quitta la chambre, et la maison, et une fois à l’extérieur appela la jeune fille qui vint en courant à ses côtés, le cœur emplit de joie. Ils prirent la route pour Mikawa où le père de cette dernière vivait.

Province de Mikawa, l'amour de Gonpachi et de Komurasaki
Vue du Yatsuhashi, dans la province de Mikawa, par SHirohige.

Lorsqu’ils atteignirent Mikawa, il amena la jeune fille vers la maison de son père, et lui expliqua comment il était tombé dans un guet-apens mené par des brigands, et alors qu’il allait être tué comment sa fille était venue le prévenir et ainsi sauver sa vie. En échange, il expliqua qu’il la sauva de sa servitude, et la ramena chez elle.

Quand les parents retrouvèrent leur fille, ils étaient tellement heureux que des larmes marquant la profondeur de leur joie ne cessèrent de couler. Dans leur grande gratitude, ils demandèrent au jeune homme de rester parmi eux, préparèrent une fête en son honneur, et le traitèrent avec une grande hospitalité. Mais leur fille qui entre-temps était tombée amoureuse de son beau et courageux samurai ne pensait qu’à lui, jour après jour.

 

Le jeune homme, malgré la gentillesse du vieux marchand qui souhaitait l’adopter et en faire son fils, et qui essayait de le persuader de rester avec eux, désirait plus qu’autre chose poursuivre sa route vers Edo où il pourrait se mettre au service d’une noble famille en tant qu’officier. Il résista ainsi à la gentillesse du vieil homme et à la douceur de la jeune fille, et se préparait à relancer son voyage.  qu’il ne renoncerait pas le marchand lui donna une récompense de 200 pièces d’argent, et à contrecœur fit ses adieux.

Gonpachi avait préféré son ambition plutôt que l’amour d’une famille, et d’une femme.

Car la jeune fille était en larme, s’imaginant ne plus jamais revoir l’être qu’elle aimait par-dessus tout. Quand il s’en approcha et lui dit :

« Sèche tes larmes, mon aimée, et ne pleure plus, car je reviendrais bientôt vers toi. Pendant ce temps, garde foi en moi, et reste vrai, et sois la plus agréable possible avec tes parents ».

Alors, elle essuya ses larmes, et sourit à nouveau, quand elle entendit la promesse qu’il lui reviendrait. Et le voyage de Gonpachi se poursuivit sur la route d’Edo.

Mais cette si n’était pas sans danger et ses périples étaient encore loin d’être fini. Un jour, tard dans la nuit, alors qu’il arrivait dans un lieu appelé Suzugamori, dans ce qu’on appellerait aujourd’hui la banlieue d’Edo, il tomba sur six pirates de la route qui pensait pouvoir avec aise le tuer et le dépouiller. Sans attendre, il dégaina son épée et tua deux d’entre eux, mais après une longue marche, et la fatigue entraînée, le combat semblait impossible pour lui.  C’est alors qu’un notable passa par-là, il sauta de son chariot un poignard à la main et les voleurs s’en allèrent.

Il s’avérait maintenant que cette gentille personne qui était venue en aide à Gonpachi à la hâte, n’était autre que Chobei Banzuiin, le chef de d’un groupe d’Asakusa, la société des gentilshommes d’Edo, un personnage restait célèbre dans l’histoire, qui était d’ailleurs connue pour trouver du travail à des ronins.

Rencontre, l'amour de Gonpachi et de Komurasaki
Par Utagawa KUNISADA

Quand la troupe d’agresseur s’en était allé, Gonpachi se retourna vers son sauveur et lui dit : « J’ignore qui vous êtes, monsieur, mais je dois vous remercier de m’avoir sauvé d’un grand danger ».

Et il se prosterna pour exprimer sa gratitude.

Chobei poursuivit :

« Je ne suis qu’un pauvre chef de quartier, un homme modeste à ma façon, monsieur, et si les voleurs ont fui, c’est plus par chance que grâce à mon action. Cependant, je suis plein d’admiration pour la manière que vous avez eue de vous battre ; vous avez prouvé un grand courage, et une technique admirable pour votre âge. »

« En effet ! » répondit le jeune homme, « Je suis encore jeune et inexpérimenté, et j’ai honte de mon style maladroit ».

Puis je vous demander répliqua Chobei. «  Travaillez-vous pour quelqu’un ? »

« Autant que je sache, je suis à présent un ronin, et je n’ai pas de but précis.»

« C’est un mauvais travail », répliqua Chobei, qui se sentait mal pour lui. « Cependant, si vous veuillez excuser ma rudesse de faire une telle offre si soudaine, mais étant le chef de mon arrondissement, jusqu’à ce que vous trouviez un travail correct, je vous propose de mettre ma modeste demeure à votre disposition ».

Gonpachi accepta la proposition de son nouvel ami et le remercia chaleureusement, ainsi Chobei le guida vers sa demeure et lui offrit l’hospitalité pour quelques mois, le temps qu’il trouve une position à Edo.

Mais, à présent, sans pression et libre de vaquer, Gonpachi suivit une mauvaise voie, et commença à mener une vie dissolue dans l’ardeur de la capitale, ne pensant à rien d’autre sinon à satisfaire ses plaisirs immédiats. Il commença à fréquenter le quartier rouge de Yoshiwara, où les maisons de thé, se succéder et les jeunes hommes avaient leur habitude. Bien entendu, sa grande beauté ne laissa personne indifférent, et il devient très vite le favori des jeunes filles du quartier.

Printemps à Yoshiwara, Hiroshige.

C’est à peu près à ce moment-là que les hommes commencèrent à parler de Komurasaki, la petite pêche, une jeune fille qui était récemment venu à Yoshiwara, et dont la beauté fascinait et ne lui laissant aucune rivale. Gonpachi, comme les autres, entendit tellement d’éloge sur celle-ci qu’il était déterminé à se rendre dans l’établissement où elle travaillait, « Les trois bords de mer » , afin de juger de lui-même si cette rumeur était fondée.

C’est dans ce but qu’il se prépara, et qu’un jour il arriva devant l’établissement, et demanda à voir Komurasaki, puis mené vers la chambre où elle se trouvait, il s’approcha d’elle, mais quand leurs regards se croisèrent ils furent aussi étonné l’un l’autre.

L’amour de Gonpachi et de Komurasaki

Et pour cause, il se trouvait que Komurasaki n’était autre que la fille que Gonpachi avait sauvé des mois plus tôt de ses kidnappeurs et qu’il avait laissé auprès de ses riches parents qu’il l’adorait à Mikawa. Il l’a laissé dans un environnement sain, et chacun a fait des vœux de loyauté et de fidélité, et maintenant, il se rencontre dans un lieu peu fréquentable d’Edo ! Quel changement ! Quel contraste ! Comment la richesse est devenue pauvreté, comment les vœux sont-ils devenus mensonge ?

Revenu de sa surprise, « Qu’est-ce que c’est ? » se demanda Gonpachi « comment puis-je te retrouver dans cet endroit de vice à Yoshiwara ? Je t’en prie, explique-moi, il y a sûrement quelques mystères que je ne saisis pas. »

Gonpachi et Komurasaki, vue par Kitagawa Utamaro.

Komurasaki, étant tombé de manière aussi inattendue sur son amoureux, était partagée entre une joie profonde et sincère, de le retrouver, et une intense honte, de le retrouver ici dans de telles conditions, elle répondit hésitante :

« Hélas, mon histoire en est une bien triste, et ce serait long de la raconter. Après que tu nous as quittés, l’an dernier, les malheurs se sont abattus sur nous, et quand mes parents ont été frappés par la pauvreté, ça a été de mon devoir de trouver un moyen de subvenir aux besoins de ma maison, ainsi j’ai vendu mon pauvre corps au maître de cette maison, et j’ai envoyé l’argent à mes pauvres parents. Mais malgré cela, le malheur s’est poursuivi, et maintenant, ils sont morts dans la misère et les remords. Seule dans ce monde j’étais tellement triste, mais maintenant que je te retrouve, toi qui es si fort, aide-moi ! Qui suis si faible. Tu m’as sauvé une fois, n’est-ce pas ?, je t’en supplie sauve moi encore ! » et comme elle racontant son histoire, ses larmes coulaient de ses yeux.

« C’est, en effet, une histoire bien triste » releva Gonpachi visiblement touché par le récit. « Il y a du y avoir un incroyable enchaînement de malheur pour que la pauvreté s’abatte sur ta maison, qui était encore il y a peu tellement prospère. Ceci dit, ne t’inquiète plus, je ne t’abandonnerais pas. C’est vrai que je suis trop pauvre pour te libérer de ta servitude, mais coûte que coûte je veillerais à ce que tu ne sois plus tourmentée. Aime-moi, et place ta confiance en moi ».

Quand elle entendit le discours de son bien-aimé, si bienveillant, elle fut immédiatement réconfortée, et arrêta de se questionner, mais donna tout son cœur et oublia le passé dans la grande joie de ces retrouvailles. Quand il fut pour eux le moment de se séparer, il l’enlaça tendrement et retourna vers la maison de Chobei.

À partir de là, il ne pouvait plus extraire Komurasaki de sa tête, et toute la journée il pensa à elle, et seulement à elle. Ainsi, il finit par aller quotidiennement à Yoshiwara pour la voir et si quelque chose ne se déroulait pas ainsi, elle, manquant sa traditionnelle visite, devenait anxieux et lui écrivait pour connaître les causes de son absence.

Et finalement, poursuivant cette manière de vivre, il se retrouva sans argent. Étant un ronin, il n’avait pas trouvé l’intérêt de renouveler ses fournitures et ses armes, tout son argent était passé à Yoshiwara. Il était humilié de se retrouver sans les sous en face du « Trois bords de mer », à quelques mètres à peine de celle qu’il aimait plus que tout.

C’est alors qu’un esprit démoniaque a commencé à germer en lui, et il partit dans les bas-fonds, jusqu’à assassiner un homme pour le voler et pouvoir dépenser l’argent du butin à Yoshiwara.

Allait de mal à pire, était juste un simple pas, et le tigre qui a une fois goûté l’odeur du sang est désormais sans limite. Aveuglé, et entiché, d’un amour excessif, Gonpachi finit par faire du meurtre et du vol son quotidien, ainsi alors que l’homme à l’extérieur était toujours agréable à regarder, un monstre hideux vivait en son for intérieur.

Son ami et bienfaiteur Chobei était incapable de le regarder en face, il ne le supportait plus, et il le mit à la porte de sa maison. Et comme il est tout le temps le cas «  la vertu comme le vice rencontre tout le temps leur récompense », les crimes de Gonpachi devinrent connus, voire célèbre. Le gouvernement ayant mis des espions sur ses traces, il fut découvert et arrêté. Ses actions diaboliques étant découvertes au grand jour, il n’eut mot à dire pour sa défense et il fut amené au terrain d’exécution, à Suzugamori, et décapité comme le malfaiteur qu’il était.

Gonpachi mort, la vieille affection que Chobei avait pour lui réapparut. Étant un homme pieu, et de gentille nature, il réclama le corps et la tête de l’homme et accomplit les rites funestes à Meguro, il plaça ses cendres dans le sol du temple Boronji.

Quand Komurasaki entendit les rumeurs à propos de cette exécution de la bouche des gens de Yoshiwara, sa tristesse n’eut aucune limite. Elle s’échappa alors du « trois bords de mer » et alla à Meguro pour se jeter sur la tombe récente de l’homme qu’elle aimait plus que tout.

Elle pria longtemps, et déversa le flot discontinu de ses larmes d’amertume sur la terre qui accueillait à présent son sauveur et sa raison de vivre. Après un long moment de tendresse posthume, et avoir laissé couler jusqu’à la dernière goutte lacrymale, elle sortit de son kimono une dague, qu’elle plongea aussi profondément que possible dans son sein, et s’éteignit ici même. Les prêtres du temple, quand ils comprirent ce qui c’était passé, se questionnèrent longuement et furent étonnés de la profondeur de l’amour de cette très belle jeune fille. Trouvant compassion dans son action, ils procédèrent à ses funérailles, et l’enterrèrent auprès de son amoureux dans une seule tombe. Puis ils placèrent une pierre gravée qui demeure encore aujourd’hui portante la mention de « la tombe du Shiyoku ».

 Ces deux oiseaux, aussi beaux que le hanami,
ont péri avant leur heure, comme des fleurs terrassées par les vents,
avant qu’elles n’aient pu germer. »

 

Depuis, les gens d’Edo visitent le temple, et prient la beauté de Gonpachi, et la piété filiale et amoureuse de Komurasaki. 

Tombe du Shiyoku, illustration.

Source :

Mitford, A. B. Tales of Old Japan. In two volumes. Vol. 2. With illustrations, drawn and cut on wood by Japanese artists. London: Macmillan, 1871.

Traduction réalisée par le site du Japon.

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