Le premier shogunat, 1185

Le premier shogunat du Japon va voir le jour en 1185 à Kamakura, avec à sa tête le chef du clan des Minamoto, aussi appelé Genji, Minamoto no Yoritomo, et elle restera la « capitale » du Japon jusqu’en 1336, et l’avènement des shoguns Ashikaga qui retourneront placer leur fief à Kyoto. La guerre du Genpei, après 5 ans de lutte, est terminée. À Dan-no-Ura, le clan Minamoto vient de remporter un succès définitif face au puissant clan Taïra, aussi nommé Heike, son ennemi héréditaire. Yoritomo vient d’être déclaré shôgun par l’empereur Go-Shirakawa. Pour la première fois de son histoire, le pouvoir au Japon se trouve entre les mains des guerriers.

Il aura fallu nombre de trahisons et d’évènements pour y parvenir, car depuis déjà plusieurs siècles, les provinces ont commencé à s’éveiller, et même si le pouvoir demeurait à Kyoto, de nouveaux pouvoirs grandissaient en Province, à l’abri de l’œil de la capitale de plus en plus focalisé que sur elle-même. Les nombreux descendants des empereurs, les branches mineures des grandes familles avaient depuis longtemps dû se résoudre à trouver des fiefs éloignés d’une capitale qui ne leur offrait aucun avenir, d’abord pour un temps court, depuis pour plusieurs générations. Avec le temps leur domaine avait grandi, les terres de l’état qui ne pouvaient pas être administrées ont été mises sous leur tutelle, et leur milice qui visait à protéger la population des bandits et des clans rivaux sont devenus de véritables armées personnelles.

Les empereurs l’ont compris depuis longtemps, préférant faire appel à ces milices, ces guerriers, pour mater les rébellions plutôt que d’appeler leur propre et très coûteuse « armée impériale ».

Deux familles, deux clans, vont se dégager, toutes les deux d’ascendance impériale, le clan Taira, descendant de l’empereur Kanmu, et le clan Minamoto, descendant de l’empereur Kanmu, qui se fera face à partir de la rébellion de Heiji, en 1160, et jusqu’à la guerre du Genpei qui se terminera en 1185. Le Bakufu sera créé à Kamakura. C’est la naissance du « Japon des samurai » et l’entrée du Japon dans le monde féodal.

Jusqu’alors, les clans Minamoto et Taira collaboraient, mais leur relation va se ternir brusquement après la rébellion de Hôgen en 1159.

Les troubles de Hôgen.

En 1156, l’empereur retiré Toba meurt. Deux empereurs se disputent alors cette position. L’empereur actuellement sur le trône, Go-Shirakawa, et un ancien empereur Sutoku. Les deux empereurs vont alors faire appel aux clans guerriers pour régler ce différend.

Sutoku, obtiendra l’appui du chef de clan des Minamoto, Tameyoshi, tandis que son fils, Yoshitomo, se laissera convaincre par Taira no Kiyomori, de rejoindre le camp de Go-Shirakawa. La nuit du 29 juillet 1156 sera décisive, le camp de Go-Shirakawa mène l’offensive et attaque le palais où Sutoku réside. brûlé, réduit en cendre, Sutoku perd la vie, pendant que ceux qui avaient pris sa défense, sont plus tard exécutés.

Les clans Taira et Minamoto s’imposent à la cour, avec respectivement Kiyomori et Yoshitomo à leur tête. L’ambiance entre les deux est tout d’abord cordiale, mais leur relation va rapidement se dégrader à partir de 1158 quand Go-Shirakawa abdique et devient empereur retiré. Son fils Nijô devient alors le 78e empereur du Japon. 

la rébellion de Heiji

Kiyomori, fidèle conseiller, se rapproche de l’empereur retiré, et il obtient le titre prestigieux de grand ministre (daijin daijin). Yoshitomo est lésé, leur relation se dégrade très rapidement et c’est alors que se laissant convaincre par Fujiwara no Nobuyori il va aller réclamer son dû. Profitant de l’éloignement de Kiyomori, en vacances en famille, il va prendre d’assaut le palais de l’empereur retiré et son fils pour le forcer à le nommer grand ministre. C’est la rébellion de Heiji (平治の乱) marquant le début de la « guerre » entre les clans Taira et Minamoto pour la domination du Japon. 

L’armée de Kiyomori patiente, craignant la mort des empereurs, jusqu’à ce qu’un habile subterfuge, Nijô se déguisant en femme, leur permette de prendre la fuite. L’attaque est terrible, Kiyomori est vainqueur. Yoshitomo est exécuté ainsi que son fils, le reste de sa descendance prend le même chemin. C’est alors que Kiyomori fait preuve de clémence envers Yoritomo, son plus jeune fils. Il lui permet de s’exiler, loin, sur l’île d’Izu et sous la surveillance de ses alliés, le clan Hôjô. 

L’ascension de Taira no Kiyomori

Kiyomori a les mains libres et plus rien ne l’arrête dans sa soif d’asseoir le pouvoir de son clan sur le Japon. En 1167, il devient la personne la plus influente de l’état, il se passe de plus en plus de tout conseil pour diriger, mettant sa famille et ses hommes de confiance à tous les postes d’importance. Go-Shirakawa, lui-même, a pris conscience de cela. Il abdique de sa position et se fait moine en 1669. Kiyomori qui a déjà réussi à marier sa fille Tokiko au 80e empereur du Japon Takakura. Kiyomori n’a plus d’adversaire et l’avenir du clan Taïra s’annonce radieux. Il gouvernera sans partage pendant presque 10 ans.

Taira no Kiyomori
平清盛
[1118 -1181]
Taira no Kiyomori est le chef du clan Taira de la rébellion du Hôgen jusqu’à sa mort en 1181 pendant la guerre du Genpei. Partisan de Go-Shirakawa, il obtient le poste de premier ministre au mépris de son camarade Minamoto no Yoshitomo, qu’il tue, plus tard, lors de la rébellion du Heiji. Il tue ses enfants mais laisse en vie le jeune Yoritomo qui deviendra plus tard le premier shogun du Japon. Il est décrit comme rusé et fin commerçant.

Il est alors vieillissant mais il sait qu’en Shigemori son aîné, il tient quelqu’un capable de poursuivre son œuvre. Lorsque ce dernier meurt en 1177, tout va s’accélérer. Kiyomori suggère de déplacer la cour dans son fief de Fukuhara, actuel Kobe, en bord de mer. Ainsi, la cour se trouverait dans un territoire sous son entier contrôle et il pourrait maîtriser le très lucratif commerce maritime de la zone. Il organise un coup d’État pour éjecter des derniers postes de prestige tous ceux qui ne sont pas ses alliés directs, ou des membres de son clan. Il place ainsi son petit-fils de 2 ans, Antoku, sur le trône impérial en lieu et place du prince Mochihito. L’aristocratie se ligue contre lui, le prince est en colère, et le 5 mai 1180, il fait appel aux ennemis des Taira, et en particulier au clan Minamoto, par l’intermédiaire de Yorimasa, ainsi qu’aux moines guerriers – qui s’étaient bien renforcés depuis la retraite de l’intriguant Go-Shirakawa – pour combattre la dictature de Kiyomori. 

Peu discret. Le coup d’état échoue. Les comploteurs se réfugient au Mii-dera, mais doivent à nouveau fuir pour le Byodo-in, les moines guerriers ne pouvant les protéger de la force de frappe du clan Taïra. Ils y seront interceptés. Yorimasa se fait seppuku. Le prince est capturé avant d’être exécuté. Go-Shirakawa est furieux de la mort de son fils mais son appel a été entendu. Des émissaires traversent le Japon pour répandre la nouvelle de la révolte. 

La guerre du Genpei commence. 

Yoritomo, depuis marié à Masako, fille du puissant clan Hôjô, préalablement en charge de sa surveillance, sent le moment venir. Avec 30 cavaliers sous ses ordres, il attaque la résidence du gouverneur à Izu. Deux semaines plus tard, c’est avec 300 hommes qu’il échappe de justesse à la mort au mont Ishibashi faisant face aux 3000 hommes que les vassaux Taira ont pu mobiliser. Mais la région est en colère et les clans accourent au chevet du bushidan Minamoto reconstitué, ses clans traditionnellement vassaux, comme celui des Chiba le rejoignent, et ses demi-frères qui ont survécu le rencontrent pour la première fois : Yoshitsune , sauvé par sa mère, qui a grandi dans un monastère et qui est peut-être le plus grand « samurai » de l’histoire de Japon, et Nobuyori. Le 6 octobre 1180, c’est à la tête de 27.000 hommes qu’il entre dans Kamakura faire la procession au kami Hachiman traditionnellement tutélaire de son clan. 

Pendant ce temps d’autres révoltes de guerriers face aux Taira éclatent un peu partout. Kiso Yoshinaka, ou Kiso Yoshinaka, mène la révolte dans la province de Shinano aux côtés de sa femme Tomoe Gozen, et de son demi-frère Kanehira. Cousin de Yoritomo, il est également son rival.

En 1181, Kiyomori meurt, et Munemori, son fils et héritier, prend la tête du clan. La même année Yoshinaka résiste aux Taira. Puis, jusqu’en 1183, les forces se jaugent sans s’attaquer sur fond de famine qui sévit dans tout le Japon et qui empêche les ravitaillements. Lorsque les débats reprennent, c’est Yoshinaka qui agit le premier. Il descend sur Kyoto, et s’empare de la ville, battant les dernières troupes Taira qui restaient. En fuite, le clan tente d’établir une cour à Dazaifu mais ce sont là les habitants, à la demande de Go-Shirakawa, qui les chassent. Il trouve refuge en Yashima. Poursuivis par Yoshinaka, ils repousseront ses forces à la bataille de Mizushima, et s’assureront un instant de répits. Mais ils se trouvent de plus en plus isolés. 

Yoshinaka rentre sur Kyoto, il veut y imposer son contrôle et bâtir une cour du Nord à la défaveur de Yoritomo. Son plan est révélé par l’empereur Go-Shirakawa. Considérées comme traître, les troupes Minamoto menées par Yoshitsune vont s’abattre sur celles de son cousin. Yoshinaka a juste le temps de prendre la fuite, mais il est rattrapé. Il sera tué à la bataille du pont de Uji.

Kiso Yoshinaka, un personnage de l’histoire

 

Note : Alors que pourchassait par les troupes de Yoshitsune, Yoshinaka qui n’avait plus d’espoir d’en réchapper chercha un lieu calme pour se faire seppuku, son cheval fut pris dans la boue à moitié gelé, l’empêchant de fuir. Ainsi, il fut tué par les hommes de Yoshitsune.

L’histoire de Yoshinaka et de son frère Kanehira est très connue au Japon. Une pièce du théâtre Nô se nomme « Kanehira » et parle de cette relation. Aussi, le fameux poète, Matsuo Bashô a été enterré, à sa demande, aux côtés de Yoshinaka. Au Gichū-ji à Omi. Sa femme restera dans la légende des Onna-Bugeisha.

 
 

 

Le principal rival dans la course au commandement du clan Minamoto défait, Yoritomo n’attendit pas longtemps pour attaquer les positions des Taira.

À la bataille d’Ichi-no-Tani, une forteresse placée entre montagne et mer, ses frères attaquèrent la position de toute leur force, large vainqueur, les Taira prirent le parti de fuir tant qu’il était possible, et ils furent nombreux à pouvoir le faire, tant la position restait difficile à manœuvrer, pour les deux armées.

La bataille d’Ichi no Tani
Bataille célèbre de l’histoire du Japon, la bataille d’Ichi no Tani se passe sur un bout de terre protégé par les montagnes où les Taira ont leur forteresse, à l’ouest de l’actuelle Kobe. 
L’armée des Minamoto se divise alors en trois groupes, celui qui prend l’est, Nobuyori, et un autre prend l’ouest. Yoshitsune lui-même accompagné de cavaliers passe par les montagnes, ce qui n’était pas une pratique commune, ni communément admise, dans la pratique de la guerre. 
L’arrière de la forteresse étant très peu défendu, et les Taira ne pouvant pas manœuvrer eux-mêmes à l’intérieur de l’enceinte, ils prennent la fuite par la mer. 

La fin du clan Taira

Après la bataille d’Ichi nos Tani, le reste des troupes Taira se retire à Yashima, dans une forteresse en bord de mer. Il faudra attendre un an pour la bataille finale puisse avoir lieu. Sur terre, des petits groupes Minamoto allument des feux simultanés face au château, donnant l’impression de l’attaque d’un grand nombre de guerriers. Encore là une stratégie payante pour Yoshitsune.

Sûre de leur force, c’est en mer, dans le détroit de Shimonoseki, que les Taira connaissaient particulièrement bien, que la bataille finale aura lieu, à Dan-no-Ura.

la bataille de Dan-no-Ura
 

Ce sont près de 1400 navires de guerre, construit sur le modèle chinois avec une tourelle protégée qui sert de poste de commandement et de position de tir pour les archers. Les Minamoto ont l’avantage du nombre, 850 navires, les Taira, l’avantage d’être d’excellent navigateur et de connaître le détroit bien mieux malgré leurs 500 navires. Cependant, de nombreux clans guerriers du Kyushu et du Honshu se sont déjà ralliés à eux. Les Minamoto attaquent en masse, conscient de leur supériorité numérique, tandis que les Taira séparent leur flotte en trois escadrons qui encerclent les bateaux ennemis. Aux tirs de flèches nourris se succèdent les combats au sabre sur les ponts. La tactique des Taira va payer avant de fléchir aux grés des vents. Yoshitsune qui dirige la manœuvre pour les Minamoto, parvient à atteindre le général ennemi : Taguchi Shigeyoshi, il le défait et ce dernier lui révèle la position du petit empereur Antoku, et des principaux dignitaires Taira. Toutes les armées Minamoto prennent le parti d’attaquer ce navire, rapidement immobilisé par la mise à mort des nombreux rameurs.

Les Taira font alors le choix d’une “mort honorable” en se faisant Seppuku ou de s’attacher à une pierre pour se laisser couler, ainsi, l’empereur décède alors qu’il n’a à peine 6 ans, de nombreux guerriers suivent leurs chefs dans la mort. Le chef des Taira Munemori décide, lui, de fuir. Il sera arrêté peu après et exécuté. L’esprit des guerriers Heike errant dans les fonds marins, Yoshitsune fera leur rencontre dans une légende célèbre

Afghani
le crabe heike

Les crabes des « Taira morts », comme leurs esprits, sont l’objet de contes et légendes très célèbres.  Ces crabes portent sur leur dos un caractère, par superstition ils ne sont pas pêchés, un reportage en venait à conclure que ce « camouflage » permettant la survie des membres de l’espèce, elle en était venue à se camoufler génétiquement ainsi.

Le premier Shogunat à Kamakura

Avec l’aval de l’empereur, qui n’a pas le choix, Minamoto no Yoritomo va établir le premier Bakufu du Japon, gouvernement guerrier, dans son fief de Kamakura, pendant que la cour de l’empereur perdurera à Kyoto. Mais très vite, ses conseillers sont inquiets pour son pouvoir.

Minamoto no Yoshitsune
源 義経
[1159 – 1189]
Minamoto no Yoshitsune. Personnage important de l’histoire du Japon, peut-être considéré comme le plus grand samurai de tout temps. Une grande légende l’entoure malgré sa mort par trahison. Il est un des personnages proéminents du “Heike Monogatari”. Dans la légende Aïnous, il aurait été capable de fuir le siège de Koromogawa où il est mort et refait surface en tant que Okikurumi en Hokkaïdo où un temple lui est consacré. Dans une autre version folklorique, il serait ensuite parti en Asie centrale, et serait devenu Gengis Khan, pour faire comprendre la puissance extraordinaire qui demeure autour de ce personnage de l’histoire du Japon.  
Sur l’image, il est accompagné de son fidèle vassal, Benkei, un guerrier sohei à la force légendaire, dont la vie entre légende et réalité est fameuse des théâtres japonais, il est notamment décrit comment il meurt debout sans bouger alors qu’il a été transpercé de plusieurs dizaines de flèches. 

Yoshitsune est bien trop populaire, et déjà très célèbre. Élevée dans le Nord et dans les montagnes, sa sauvagerie déplaisait aux nobles, comme lors de la bataille d’Ichi no Tani. Face à un frère devenu totalement paranoïaque, à cause du jeu de Go-Shirakawa qui voulait réduire le pouvoir de Yoritomo en divisant les forces Minamoto, il sera alors persécuté, et fuira jusqu’à Hiraizumi où il sera tué, après deux ans d’exil et sa dénonciation, en compagnie de Benkei qui combattra jusqu’au bout.

Son autre frère Nobuyori va subir le châtiment des mots qu’il aurait prononcé à la femme de Yoritomo, Masako, lorsqu’une rumeur faisant état de la potentielle mort de Yoritomo au cours d’une chasse. Devant l’inquiétude de cette dernière, il lui aurait dit qu’il ne fallait pas s’en inquiéter et qu’il prendrait la charge et s’occuperait d’elle, ainsi que du clan, si la rumeur était vraie. De retour, et sa femme ayant rapporté les paroles de Nobuyori à son mari, Yoritomo décréta qu’il ne pouvait plus décemment avoir confiance en ce dernier, et le fît alors exécuter.

Sans frère, pouvant se déclarer Shôgun légitime s’il venait à partir, le pouvoir serait assuré par ses enfants. C’est croire que l’histoire du Japon n’oublie pas. Et la descendance de Yoritomo et de Masako n’aura que peu le loisir d’être à la tête du shogunat avant d’être les uns après les autres assassinés.

Source :
« Histoire du Japon, des origines à nos jours », travail collectif sous la direction de Francine Hérail, éditions Hermann.
« Histoire du Japon, des origines à nos jours », Gérard Siary, éditions Tallandier.
« Une histoire des samouraïs », Robert Calvet, bibliothèque historique Larousse.

 

Meurtre à Kamakura
Masako la nonne-shogun
 

 

 

 

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