Nous étions le 26e jour du premier mois de l’ère Jôkyû (12 février 1219), la neige n’avait cessé de tomber sur Kamakura, la toute récente capitale du shogunat, depuis quelques jours. Elle arrivait désormais à une hauteur de 60 centimètres au-dessus du sol. Le rouge immaculé du temple et de ses barrières donnaient au paysage un ton d’immensité et les quelques badauds qui attendaient la sortie du shôgun Sanetomo, l’esthète de la poésie, contemplèrent le tableau sans un mot.
Le sanctuaire consacrant le kami de la guerre Hachiman , le dieu protecteur du clan Minamoto, était le lieu de la cérémonie mais seulement les invitéss pouvaient y pénétrer.
La nuit venait de tomber sur la ville, les escaliers étaient dégagés du poids de la neige, un travail d’importance que n’avait pas négligé les quelques disciples de ce lieu, le plus sacré de Kamakura.
Un moment d’excitation était finalement perceptible, le shôgun venait d’être nommé ministre de la droite comme le veut la réforme, qui remonte aussi loin que le temps de la capitale de Nara. Il était souriant comme à son habitude, malgré le froid, et semblait distrait. Un homme se tenait à ses côtés, tout emmitouflé, il était difficile de percevoir qui il était mais c’était sans nulle doute un samurai, probablement un maître d’arme. Il descendait les marches calmement, quand soudain résonnèrent ces mots, aussi imprévisible qu’inattendu :
父の敵を討つ
Chichi no teki wo utsuru
Je frappes les ennemis de mon père.
Le sang jaillit, horreur indescriptible pour les gens de cette nouvelle capitale, la neige n’était plus blanche, mais d’un rouge immaculé. En une clameur, le shôgun avait perdu sa tête, au sens propre, tout comme l’homme qui l’accompagnait. On ne put distinctement reconnaître le visage du jeune moine qui avait perpétré l’acte mais il ne vola rien d’autres que deux vies ce jour-là avant de disparaître aussi vite qu’il était apparû, emportant la tête du misérable au passage, comme il était de coutume dans ce Japon guerrier.
La foule, effrayait par les secondes qu’elle venait de vivre, s’égosillait : « le shogun est mort », craignant le chaos qui arriverait autant que le chagrin d’une mère : Masako.
Au bord des escaliers le Gingko avait tout observé, impassible comme à son habitude, ce symbole de la paix et de l’espoir dans les classiques que le disparu appréciait tant, devait sans doute saigner en silence, et il devait également savoir qu’il n’était désormais qu’une question de temps avant que la lignée des Seiwa Genji ne disparaissent.
Car qui en aurait voulu au Shogun ? Ce tendre, et aimable shogun. Personnage charismatique, Minamoto no Sanetomo n’était ni guerrier, ni épris de pouvoir, au contraire de son oncle et de sa mère qui règnaient de fait, et dans sa prose, le goût et l’empathie, le distinguait de bien d’autres forces vivant dans ce monde flottant. Il avait même réussit à devenir sous l’enseignement de Fujiwara no Taira et à gagner sa postérité en devenant un des élus des « 100 poèmes de 100 auteurs » dans une des anthologies les plus appréciés du Japon de toute ère.
Dans ce bas monde
Choses raisonnables
Ou insensées
A y réfléchir
Ne sont que chimères.
Minamoto no Sanetomo
Celui qui craignait tant et tant pour sa mort qu’il avait simplement toujours refusé d’aller à l’encontre de quelque chose se voyait contraint d’être un défunt qui n’en demandait pas tant.
La missive venait d’arriver dans la maison de Yoshimura Miura, elle était signé du jeune moine Kugyo : « J’ai tué mon oncle, le shôgun, j’ai sa tête, malheureusement Yoshitoki ne l’accompagnait pas comme on me l’avait laissé entendre. Je vous attends à Yukinoshita, dans la maison de ma nourrisse, soulevez une armée, nous devons décider de comment agir pour la suite et comment faire de moi le nouveau shôgun».
Le vrai visage du moine venait d’être révélé. Il s’agissait de Zensai, le 2nd fils de Yoriie dont la vie avait été épargnée, il était devenu Kûgyô, moine, grâce à l’intercession de sa grand-mère et avait rejoint les ordres. Il avait eu tout ce qu’il était possible de lui offrir dans la frayeur de Tokimasa, le très violent régent, mais n’avait pu se retenir de chercher vengeance par lui-même en prenant la tête de son oncle, pourtant pas le plus hostile, et en espérant que Yoshitoki serait à ses côtés ce jour-là, ce qui n’était pas le cas.
Etonné, effrayé d’entendre ce que son protégé avait fait, Yoshimura fût incapable de prendre une décision sur l’instant. Il demanda au meurtrier d’attendre l’escorte qui lui envoyait.
Par peur de la réaction de la famille Hôjô, sans doute, et des conséquences terribles de l’action qui venait d’être exécuté, Yoshimura envoya un message à la résidence Hôjô pour affirmer qu’il savait où l’assassin était caché. Il lui fût demandé en retour de procéder à son exécution et de ramener sa tête.
Le clan Miura décida alors d’un conseil exceptionnel entre ses membres. Les membres ainsi rassemblés se disputèrent l’action à mettre en œuvre. D’un côté, l’héritier légitime au poste de shôgun était de leur côté, et s’il réussissait à se soulever il deviendrait probablement la famille la plus puissante du Japon. D’un autre côté, la famille Hôjô était elle déjà extrêmement puissante, et son chef Yoshitoki toujours bien vivant, et même parmi les plus bellicistes des Miura la crainte de ne pas être capable de sortir vainqueur en prenant les armes restait omniprésente.
Il fût décidé d’obéir, à contre cœur, à l’ordre de la famille Hôjô afin de protéger le clan Miura, qui aurait sans nulle doute été accusé de collusion le cas échéant, et c’est au gentilhomme que la tâche de ramener la tête de « l’assassin » fût donné.
Zensai s’impatientait dans sa cache, et de lui-même, prit la route pour retrouver Yoshimura. Il marcha quelques kilomètres, et bien que le temps lui semblait long, l’excitation d’avoir réussit l’acte qu’il avait passé sa jeune vie à fomenter, doublé de la satisfaction d’avoir vengé son père et son grand frère le ravissait. Il se rappelait de sa maison qui brulait alors qu’il n’était qu’un enfant alors que son frère de 6 ans, Ichiman, était encore à l’intérieur. Il avait toujours était prévenant avec lui, même si lorsqu’ils s’amusaient, parfois, ses gestes pouvaient être violent. Il pensa longtemps à son père qui avait de son vivant voulu qu’il devienne shogun, ce qu’on lui avait souvent conté, et il n’avait pas brisé ce rêve, qu’il imaginait être un serment paternel. Il pourra bientôt être fier de lui, se disait-il, et avec l’appui du clan Miura, et de toutes les forces défavorables à la famille Hôjô, il sera, il en était certain, proclamé légitimement 4e Shogun de Kamakura, et dernier héritier du clan Moritomo. C’était son destin, et il était prêt à l’assumer quand soudain une voix surgit :
« Moritomo no Zensai vous êtes condamné à mort. »
5 samurai, arme à la main, et prêt au combat faisait face au jeune héritier. Tous étaient des membres du clan Miura. Un des membres de l’équipe engagea le combat et avant qu’un autre mot puisse être prononcé, un autre, le robuste Nagao Sadakage, pris alors sa tête. Il venait d’être tué par un des membres du clan auquel il s’identifiait. Sa nourrisse n’étant autre que la femme du chef de ce dernier. Perdant sa mère à l’âge de 3 ans, son père l’année d’après, ne pouvant faire confiance à sa grand-mère, ni à son oncle, et restant la cible de son intouchable arrière-grand-père, il venait pensa-t-il une nouvelle fois d’être trahit. Mais il était déjà, hélas, bien trop tard, pour qu’il puisse trouver un autre sens à la vie dans ce monde impermanent.
Voir Minamoto no Sanetomo ( wikipedia )
Ce court texte personnel raconte l’évènement de l’assassinat du 3e shôgun de l’ère de Kamakura, Moritomo no Sanetomo, fils de Moritomo no Yoritomo. Il est assassiné par son neveu, fils de Moritomo no Yoriie, le 2nd shôgun qui avait été écarté du pouvoir, puis assassiné, par la famille de sa mère, Masako.
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