Murakami Yoshiteru, que nous appellerons Yoshiteru, était l’un des fidèles serviteurs du prince Morinaga, troisième fils de l’empereur Godaigo, qui régna de 1319 à 1339. Nous parlons de son “règne” mais en réalité, lorsque Godaigo était empereur, il y avait un régent, Hojo Takatoki, qui gouvernait avec dureté et un grand égoïsme et qui était en possession du pouvoir réel.
La famille impériale semblait prendre la chose plutôt bien. Ils préféraient la tranquillité et le confort aux turbulences et aux querelles. Le prince Morinaga, lui, était différent. D’un tempérament fougueux et fier, il pensait que Hojo Takatoki usurpait les droits de l’Empereur. Cet homme, disait-il, n’était, par sa naissance, rien d’autre qu’un sujet de l’Empereur, et il ne pouvait prétendre au pouvoir légitime.
Évidemment, ces opinions entraînèrent des troubles, et il ne fallut pas longtemps pour que le prince Morinaga soit obligé de quitter la capitale, ses quelques centaines de partisans n’étant pas assez puissant pour combattre Hojo Takatoki à ce moment-là.
Le prince Morinaga décida qu’il valait mieux vivre isolé dans le Yamato, comme son père et ses frères aînés, que d’être sous l’emprise de Hojo Takatoki. Ayant rassemblé les plus fidèles de ses hommes – dont Murakami Yoshiteru, le plus remarquable et le héros de cette histoire, le prince quitta la capitale sous un déguisement et partit pour Yoshino. Là-bas, dans les montagnes sauvages, il avait l’intention de construire un château, dans lequel il habiterait jusqu’à la fin de ses jours, loin et libre des agissements du Régent, qu’il honnissait.
Le prince portait sur lui un drapeau impérial, qui, pensait-il, lui attirerait la sympathie et l’aide des gens même dans la province, sauvage, du Yamato. Bien que la distance entre Heian (Kyoto), la capitale, et les frontières du Yamato ne fût, en ligne directe, que de cinquante kilomètres environ, le pays étant montagneux et sauvage, les routes étant inexistantes, remplacées par des sentiers de montagne, il était midi le cinquième jour de la marche lorsque le Prince arriva dans le petit village frontalier d’Imogase. Le chemin était bloqué par une milice, dont les soldats avaient été choisis parmi les villageois d’Imogase. À leur tête se trouvait un certain Shoji, un homme rude et désagréable.
Lorsque le prince et son groupe composé d’environ quatre-vingts hommes habillés en yamabushi (moines combattants) arrivèrent, arborant l’étendard, ils furent contraints de s’arrêter devant la garde du village, où il leur fut signifié qu’ils ne pouvaient pas aller plus loin en Yamato sans laisser un homme en tant qu’otage.
La position sociale du prince était bien trop élevée pour s’expliquer devant de simples villageois et , malheureusement, Murakami Yoshiteru, son général le plus fiable, n’était pas avec le groupe, car il était resté quelques kilomètres derrière pour ramasser de la paille et en faire une nouvelle paire de waraji, des chaussures de paille. Shoji, le chef des villageois d’Imogase, exigea fermement qu’un des membres du groupe soit laissé sur place jusqu’à leur retour. Pendant une vingtaine de minutes, les choses restèrent figées. Aucun des deux camps ne désirant faire appel à la violence.
Finalement, Shoji se décida à trouver une solution :
“Eh bien, vous pouvez dire que vous êtes un prince ! Je ne suis qu’un simple villageois. Vous pouvez bien porter le drapeau impérial ; mais vu que vous êtes habillé en yamabushi, impossible de dire que vous êtes un prince. Comme je ne veux pas d’ennuis, et que vous voulez passer sans encombre, et bien que mes ordres soient que dans chaque groupe comptant plus de plus de dix personnes armées, nous devons en garder un en otage, – la seule suggestion que je puisse faire est celle de garder en échange ce drapeau impérial.”
Le prince, heureux de ne pas avoir à abandonner un de ses fidèles disciples, donna l’étendard à Shoji en qualité d’otage, ceci permit au groupe de poursuivre leur route dans le Yamato. Une demi-heure seulement passa lorsque Murakami Yoshiteru, à son tour, arriva devant le corps de garde, sa nouvelle paire de souliers de paille au pied qui avait remplacé son ancienne paire ; sa surprise de voir le drapeau de son maître en de si basses mains fut égale à sa colère.
“Qu’est-ce que cela veut dire ?”, demanda-t-il. Et Shoji expliqua ce qui s’était passé.
En entendant l’histoire, Murakami perdit le contrôle de lui-même. Et dans une colère noire, il accusa Shoji et ses hommes d’être de vulgaires brigands qui avaient à peine le droit de regarder l’étendard impérial du Japon, et encore moins celui d’oser le toucher. Il attaqua la garde du village, tuant trois ou quatre hommes et mettant les autres en fuite. Murakami s’empara alors de l’étendard et poursuivit sa course jusqu’à ce que, vers le soir, il rejoigne le prince et son groupe, qui étaient admiratifs de ce qu’il avait fait et d’avoir réussit à récupérer le drapeau.
Deux jours plus tard, le groupe atteignit Yoshino, où ils construisirent une forteresse. Ils y vécurent en paix pendant quelques mois. Cependant, le régent ne tarda pas à apprendre où se trouvait le prince, et il lança bientôt une petite armée à sa poursuite. Pendant deux jours, le fort fut désespérément attaqué ; le troisième, les portes extérieures furent prises ; les deux tiers des hommes du prince étaient morts. Murakami Yoshiteru, avait été blessé à trois reprises, et sa vie ne pouvait pas durer longtemps. Fidèle jusqu’au bout, il se précipita vers son prince en disant :”Maître, je suis blessé à mort. Dans moins d’une demi-heure, nos ennemis nous auront conquis, car il ne nous reste que peu d’hommes. Votre Altesse n’est pas blessée, et elle peut, sous un déguisement, encore s’échapper. Donnez-moi rapidement votre armure, et laissez-moi prétendre que je suis votre Altesse. Je montrerai à nos ennemis comment un prince meurt.
Changeant de vêtements à la hâte, et revêtant l’armure du prince, Murakami, saignant déjà abondamment, et déjà plus mort que vivant, regagna le mur, et gravit péniblement les dernières marches, jusqu’à atteindre le point où il pouvait voir et être vu l’ensemble des troupes ennemies. Il cria alors, aussi fort que possible :
“Moi, Ippon Hyobukyo (prince impérial de premier rang), prince Moriyoshi, deuxième fils de l’empereur Godaigo, 95e génération de l’empereur Jinmu, descendant d’Amaterasu Omikami. Regardez-moi mourir maintenant pour ne pas être renversé par des sujets rebelles. Le destin est contre moi, bien que je sois dans mon bon droit. Tôt ou tard, le châtiment du Ciel s’abattra sur vous. Et en attendant, que mes malédictions et ma rancune vous frappent depuis l’au-delà, prenez une leçon sur la façon dont un prince peut mourir, en l’imitant, si vous l’osez, quand votre heure sera venue !”
S’arrogeant le titre de prince impérial, Murakami Yoshiteru dégaina son épée courte sur son abdomen et, saisissant ses entrailles frémissantes, il les jeta au milieu de ses ennemis, son corps mort tombant juste après.
Sa tête fut apportée au Régent à Kyoto comme celle du Prince Morinaga, qui grâce à cet acte de grande dévotion trouva le moyen de fuir afin de pouvoir comploter dans le futur.
La loyauté de Murakami Yoshiteru est louée jusqu’à nos jours. Elle nous aide à comprendre les rapports de filiation qui existait dans le Japon ancien. |
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